Il y a 100 ans, le pont de Québec s’effondrait… Petite histoire d’une grande tragédie

Par | 24 août 2007 |

Article de Thais Martel. Média Matin Québec.

« En augmentant la portée cantilever de 60 mètres par rapport aux plans initiaux sans tenir compte du poids de l’acier plus important que prévu, les possibilités que le pont de Québec conçu par l’ingénieur Theodore Cooper tienne le coup étaient infimes. »

C’est en ces mots qu’André Picard, professeur retraité du département de génie civil de l’Université Laval, décrit le travail de Cooper, engagé comme ingénieur-conseil par la Compagnie du pont de Québec afin de relier les rives nord et sud.

Le nom de Theodore Cooper est associé au projet du pont en 1897.

« En visitant le site du futur pont de Québec, Cooper réalise que ce pont représente un défi majeur et que ce pourrait être un grand triomphe pour lui, le couronnement de sa carrière », raconte M. Picard.

En 1900, la soumission de la Phoenix Bridge Company (PBC), de Phoenixville en Pennsylvanie, est retenue après recommandations de Cooper. « Theodore Cooper est engagé comme expert indépendant et, à ce titre, il doit vérifier et approuver les travaux effectués. Or, il a longtemps travaillé pour la PBC et entretient toujours des liens étroits avec ses dirigeants. Il est donc en conflit d’intérêts flagrant », s’insurge André Picard.

Décisions controversées
Cooper, décrit comme un homme arrogant, prétentieux et imbu de sa personne, décide avant même le début des travaux d’augmenter la portée cantilever. Il passe ainsi de 490 m à 550 m. La raison officielle: permettre de placer les piliers en eaux moins profondes. En fait, selon André Picard, il s’agissait de surpasser le Forth Rail Bridge, un pont écossais construit peu de temps auparavant et dont la travée cantilever mesure 520 m.

Par la suite, les erreurs de calcul s’accumulent. En 1903, de sérieuses failles amènent le Département des chemins de fer et des canaux à faire appel aux services d’ingénieurs indépendants afin de procéder à certaines vérifications.

« On sait que Theodore Cooper a alors fait une colère noire, mais on ignore comment il a pu s’en tirer sans qu’aucune vérification ne soit faite », précise M. Picard.

En 1906, une dernière erreur de Cooper scelle le destin tragique du pont. Il reçoit alors un rapport mentionnant que l’acier utilisé, de moins bonne qualité que celui envisagé, est 33 % plus lourd. « Cooper réalise qu’il y a un problème et que la seule façon de le résoudre serait d’arrêter la construction, de démonter la structure et de tout recommencer. Hors de question qu’un éminent et fier ingénieur comme lui pose un tel geste d’humilité », avance André Picard.

L’effondrement d’un rêve
Les événements se précipitent. En juin 1907, les travailleurs remarquent que les trous pour les rivets dans les pièces à assembler ne coïncident plus avec les trous des pièces déjà en place. Le matin du mardi 27 août, la membrane A9L se déforme de quelques centimètres. Norman McLure, l’assistant de Cooper chargé de surveiller le chantier, se rend à New York pour démontrer à son patron que le pont peut s’effondrer d’une minute à l’autre. Un télégramme exige dès lors l’arrêt de la construction, mais il est envoyé au siège social de la PBC, à Phoenixville, plutôt qu’à Québec.

La suite, on la connaît. Le pont de Québec s’écroule à 17 h 37, entraînant dans la mort 76 travailleurs. Pour André Picard, le pont de Québec représente aujourd’hui un symbole qui rappelle les forces et les faiblesses de l’esprit humain, de même que le grand danger d’une confiance aveugle dans le jugement d’un seul individu, quelles que soient son expérience et sa réputation. Par contre, il symbolise aussi le succès de la ténacité et de la persévérance face aux difficultés.


Reproduit avec autorisation.

Catégorie(s) : Patrimoine,  Transports
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À propos de Pascal Petitclerc

Originaire du quartier Saint-Sauveur dans la basse-ville de Québec, Pascal a depuis longtemps été intéressé par l'urbanisme et l'aménagement du territoire. Il a créé Lévis Urbain en 2003, en s'inspirant de Québec Urbain, pour palier à certaines lacunes de l’époque en ce qui a trait à l’information véhiculé sur l’urbanisme, le transport en commun, l’environnement, les projets immobiliers et commerciaux et l’aménagement du territoire dans les médias régionaux du Québec métropolitain.

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