Carrefour Saint-Romuald : aide exceptionnelle de la Ville au promoteur

Par | 21 janvier 2013 |

Source : Le Soleil

La Ville de Lévis a exceptionnellement décidé de payer pour les rues principales du nouveau pôle commercial et résidentiel de la tête des ponts, dans Saint-Romuald. La société qui pilote ce mégaprojet de plusieurs centaines de millions de dollars, Placements D.T., est présidée par Denis St-Cyr, vice-président infrastructures urbaines de Roche, qui a travaillé à l’élection d’une conseillère municipale de l’équipe au pouvoir.

Il y a 10 jours, le FM93 et Le Soleil révélaient que le vice-président principal évaluation foncière et immobilière de Roche, Serge Dussault, aussi président de la firme d’évaluation évimbec, possède et développe plusieurs terrains à Lévis et à Breakeyville. Un juge de la cour municipale a estimé qu’il pouvait y avoir confusion entre ces rôles et levé les accusations portées contre la société de location Imafa inc., qui a refusé de fournir ses baux de location aux évaluateurs sous les ordres de M. Dussault, considéré comme un concurrent.

L’ingénieur Denis St-Cyr, haut dirigeant de Roche, est aussi un promoteur immobilier très actif. Il veut concentrer à la tête des ponts des grandes et moyennes surfaces commerciales, dont le géant Costco qui doit s’installer cette année, et y greffer un nouveau quartier résidentiel de forte densité.

Avec l’agrandissement du siège social de Desjardins, le Carrefour Saint-Romuald est le plus gros projet de développement en cours à Lévis, selon la mairesse Danielle Roy Marinelli elle-même. Les investissements attendus sont évalués à 400 millions $.

M. St-Cyr n’est pas seul dans cette aventure. Placements D.T. compte deux autres actionnaires : Ronald Godbout, technicien également à l’emploi de Roche, et l’homme d’affaires Jean-Guy Turcotte, qui a mené à bien plusieurs projets résidentiels sur la Rive-Sud.

C’est ce dernier qui a acheté plusieurs terrains fort bien situés entre l’autoroute 20 et le boulevard de la Rive-Sud, dans Saint-Romuald, au milieu des années 2000. Il s’est ensuite associé à MM. St-Cyr et Godbout pour les développer. Ces derniers détiennent 50 % des actions.

L’an dernier, après des négociations ardues, Placements D.T. a racheté à gros prix les terrains de Place de la Vanoise. Les maisons mobiles ont été déménagées aux frais de l’acquéreur sur un terrain à proximité du chemin Filteau, à Saint-Nicolas.

C’est pour financer cette opération, «se débarrasser» des maisons mobiles qui freinaient le développement d’un secteur névralgique, que la Ville de Lévis a décidé de « subventionner » les rues principales du Carrefour Saint-Romuald, a témoigné une source proche du dossier, qui refuse d’être identifiée.

à Lévis comme à Québec, les promoteurs immobiliers doivent construire toutes les rues des nouveaux ensembles résidentiels à leurs frais, puis les céder à la municipalité. Des concurrents de Placements D.T. l’ont rappelé au Soleil ces derniers mois.

Dans ce cas-ci, Lévis a déboursé 4,5 millions $ pour acquérir diverses parcelles constituant l’emprise des liens routiers F et G. à 132,65 $ le mètre carré, c’est le prix des meilleurs terrains commerciaux dans la région de Québec.

Le lien F est une nouvelle rue nord-sud parallèle à l’avenue des églises. Le lien G est le prolongement de la rue de la Concorde, où aboutiront les bretelles de l’échangeur 314, qui devrait être réaménagé par le ministère des Transports du Québec (MTQ) cette année.

Les travaux d’aménagement des nouvelles rues, aussi assumés par la Ville de Lévis, sont déjà commencés. Un contrat de 4,5 millions $ a été accordé à l’entrepreneur Charles-Auguste Fortier, de Québec. Les améliorations projetées à la sortie 314 devraient coûter environ 4 millions $ à la Ville et 3 millions $ au MTQ.

Joint au Chili, où il passe ses vacances, l’ingénieur et promoteur Denis St-Cyr n’a pas voulu expliquer dans ses mots pourquoi la Ville de Lévis avait investi 9 millions $ dans les liens F et G et a plutôt dit au Soleil de se fier à la version municipale. Il s’est toutefois plaint des «surprises» qui ont fait monter la facture pour la préparation du terrain.

« Si vous pensez que nous avons été favorisés, […] c’est le contraire. On a été grandement pénalisés là-dedans. Je pense que la grande gagnante, ça va être la Ville parce que le parc des roulottes est déplacé et c’est ce qu’ils voulaient. Ça va être le nouveau centre-ville, un secteur commercial très convoité », a-t-il lancé.

Le Soleil a demandé à M. St-Cyr s’il sollicitait des contrats à la Ville de Lévis dans le cadre de ses fonctions chez Roche. « Mes collègues le font bien entendu, mais pas moi », a-t-il répondu avant d’ajouter que tout se joue lors des appels d’offres.

Organisateur politique

Le Soleil a été mis au courant que l’homme d’affaires était un des organisateurs politiques d’Anne Ladouceur, conseillère municipale pour le secteur Saint-Nicolas et mairesse suppléante.

Celle-ci n’a pas fait de cachette de cette association. M. St-Cyr est un ancien voisin et il a travaillé à ses trois dernières campagnes électorales. Pour elle, il a fait du pointage et du suivi de porte-à-porte, entre autres. «De connaître M. St-Cyr ne l’avantage pas au conseil de ville. Pis lui de me connaître, moi ça ne me donne rien de plus », a assuré la conseillère.

Le principal intéressé a nié avoir amassé des fonds pour le parti politique Lévis Force 10, au pouvoir depuis 2005, mais recommandé des donateurs, oui. « Ce que je comprenais, c’est qu’ils ramassaient de l’argent, alors je leur disais que telle entreprise ou telle compagnie pourrait être sollicitée, mais rien de plus. Souvent, c’est des noms qu’ils cherchaient », a-t-il expliqué.

La chef de Lévis Force 10, Danielle Roy Marinelli, a dit connaître l’implication de M. St-Cyr, mais sans plus. Selon elle, il n’y a pas moyen pour un ou des élus d’influencer les décisions du conseil municipal pour favoriser un citoyen.

« La seule sensibilité, je vous dirais que politiquement on peut avoir par rapport à des donateurs, c’est d’avoir peut-être le retour d’appel plus rapide. Quand on a des gens qui contribuent à notre campagne électorale, si c’est des gens qui ont une problématique particulière, c’est fort possible qu’on les rappelle plus rapidement. Quoique je vous dirais que l’ensemble des élus de la Ville de Lévis, généralement dans la journée on retourne nos appels que ce soit n’importe qui», a-t-elle fait valoir.

Il a été impossible de parler à Jean-Guy Turcotte, malgré plusieurs messages laissés à son attention.

Décision rentable, plaide Lévis

La mairesse et le directeur du développement de la Ville de Lévis assurent que Placements D.T. n’a bénéficié d’aucun traitement de faveur pour lancer son mégaprojet à l’approche sud des ponts, que l’administration municipale a simplement joué un rôle de «facilitateur». Le président de Lévis autrement, Gaston Cadrin, y voit plutôt matière à scandale.

En entrevue avec Le Soleil, Danielle Roy Marinelli et Philippe Meurant reconnaissent que le financement des rues par la municipalité est exceptionnel, mais pas unique.

Lévis le fait actuellement pour Desjardins, qui a demandé l’aide de la municipalité pour repenser la rue des Commandeurs menant à son siège social. Environ 11 millions $ ont été investis dans le réseau routier bordant la « Cité de la coopération ».

Pour justifier l’intervention à la tête des ponts, Philippe Meurant fait valoir que « les liens F et G étaient prévus au schéma d’aménagement depuis 1987 », bien que l’emplacement ait bougé au fil des ans, et que les nouvelles rues agiront comme des collectrices, puisqu’elles permettront d’écouler la circulation en provenance et en direction de l’autoroute 20. Il est d’ailleurs possible que la rue de la Concorde soit éventuellement prolongée vers l’est, mais les plans actuels se terminent par une boucle.

Le directeur du développement souligne que les emprises sont plus larges que la normale pour permettre aux piétons et aux autobus d’y circuler aisément. Habituellement, dans des cas semblables, les villes paient pour le surdimensionnement, pas pour l’ensemble de la rue.

Ce régime était toutefois mal adapté au Carrefour Saint-Romuald, selon M. Meurant, car c’est alors le promoteur qui contrôle l’échéancier. Or la Ville de Lévis veut que le nouveau quartier lève de terre rapidement, car il y a de gros revenus de taxes à la clé.

Dans une entente signée avec la municipalité, Placements D.T. a d’ailleurs garanti des revenus de taxes foncières d’au moins 300 000 $ dès 2014. Ce montant grimpe annuellement pour atteindre 1,6 million $ en 2019. Si le compte n’y est pas, Placements D.T. doit indemniser la Ville pour un montant équivalent aux revenus annuels manquants dans les 30 jours du rapport rédigé par un auditeur indépendant. Lévis pourrait même reprendre des terrains pour se payer.

Pour la mairesse, l’argument financier pèse lourd. « Nous, la Ville, on a certainement avantage à collaborer avec un promoteur, mais toujours dans une optique de rentabilité », insiste-t-elle. Outre les revenus de taxes, Mme Roy Marinelli met dans la balance les dépenses commerciales qui se feront bientôt à Lévis plutôt que sur la Rive-Nord.

« Il n’y a pas des cadeaux à des amis du régime. Ce sont des dossiers qui sont travaillés de façon sérieuse, avec des garanties qui sont intéressantes et qui doivent nécessairement passer le crible de toutes les autorisations internes, respecter les règlements, les lois en vigueur. Il n’y a pas de fling flang là-dedans », insiste M. Meurant.

Gaston Cadrin, président de l’association citoyenne Lévis autrement, qui doit se transformer en parti politique, a une tout autre opinion. Il ne comprend pas que la Ville de Lévis ait payé pour aménager les rues principales du Carrefour Saint-Romuald, qui serviront d’abord à accéder aux commerces et aux résidences. Il comprend encore moins qu’elle ait déboursé 4,5 millions $ pour acquérir l’emprise des rues, ordinairement cédée pour la somme symbolique d’un dollar.

« Un promoteur, habituellement, il fournit quelque chose. Mais là, il a juste à ouvrir le tiroir-caisse. Il n’a même pas besoin de tirer dessus, le tiroir se rouvre tout seul », dénonce M. Cadrin. « C’est peut-être pas illégal, illégal […]. Mais sur le plan éthique et sur le plan du citoyen ordinaire qui a à payer ça, c’est carrément immoral », ajoute le critique, rappelant que les promoteurs vont empocher des millions de dollars pour la vente et le développement de leurs terrains.


Article de Annie Morin. Reproduit avec autorisation.

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